Retour
~ Le chikungunya s'installe à la Réunion ~

Au début, tout le monde écorchait le mot. Mais, depuis huit mois que le virus circule dans l'île, les Réunionnais se sont habitués à prononcer son nom sans trébucher. Venu des Comores et, avant cela, vraisemblablement d'Afrique de l'Est, le chikungunya a touché quelque 5 400 personnes, officiellement, depuis le début de l'épidémie.

 
Le virus est transmis par le moustique Aedes albopictus, également vecteur de la dengue et très répandu dans toute la région littorale de l'île jusqu'à 1 000 mètres d'altitude. Après quelques jours d'incubation, la maladie se manifeste par une forte fièvre, avec des maux de tête, des douleurs musculaires et articulaires, symptômes parfois accompagnés d'éruptions cutanées et de signes digestifs, respiratoires ou ORL.

Considérée comme "bénigne" — aucun cas mortel n'a jamais été signalé et le taux d'hospitalisation reste inférieur à 3 % —, elle peut cependant provoquer, chez certains patients, des polyarthrites invalidantes, susceptibles de durer plusieurs mois. Chikungunya signifie "celui qui marche courbé" en swahili. Quelques cas de méningo-encéphalite, jamais encore décrits dans la littérature, dont certains chez des nouveau-nés, ont été rapportés, tous d'évolution favorable.

Provoquant de nombreux arrêts de travail, la maladie, au traitement uniquement symptomatique, génère également un coût socio-économique important. Dès le signalement des premiers cas, fin avril, la direction régionale des affaires sanitaires et sociales (Drass) a mis en place un dispositif de surveillance épidémiologique et mobilisé son service de lutte antivectorielle. L'épidémie a connu son apogée en mai, quand 460 cas ont été recensés en une semaine. Devant la diminution qui a suivi, les autorités sanitaires prévoyaient qu'elle se terminerait fin juillet, avec l'hiver austral ; mais, en voyant le nombre de cas se stabiliser à une centaine par semaine, elles ont compris que le chikungunya évoluait désormais sur un mode "endémo-épidémique".

Sans attendre cette évolution redoutée, la Drass avait insisté sur le caractère "communautaire" de la lutte, axée sur la destruction des gîtes larvaires du moustique (soucoupes sous les pots de fleurs, récipients exposés à la pluie, trous de rocher...) en milieu urbain et sur la protection individuelle. Plusieurs élus locaux ont toutefois dénoncé l'insuffisance de moyens. "Cette épidémie n'a pas été évaluée à sa juste valeur par les responsables de santé publique", juge Jean-Yves Langenier, maire (Parti communiste réunionnais, PCR) du Port, l'une des villes les plus touchées. "Il y a lieu, compte tenu de la gravité de la situation présente et à venir, d'élaborer à l'échelon de l'Etat un vaste plan d'éradication de l'épidémie, comme celui qui fut mis en oeuvre dans les années 1950 contre le paludisme", a plaidé Gélita Hoarau (PCR), au Sénat, le 10 novembre. "Un service de prophylaxie dense et efficace avait alors eu raison de cette maladie", a rappelé la sénatrice.

Dans le cadre d'un plan départemental renforcé en octobre, la destruction des gîtes larvaires se poursuit sans relâche. La Drass a fourni des équipements aux communes, où 750 "médiateurs" municipaux, spécialement formés, sensibilisent la population aux actions de prévention, tandis que plus de 250 agents — municipaux, de l'Etat et du département — s'occupent de la lutte antilarvaire. Un numéro Vert a été mis en place pour l'information du public.

Un nouveau pic épidémique, dans le sud de l'île, a amené le maire de Saint-Louis, Cyrille Hamilcaro (UMP), à fermer les écoles de sa commune, le 9 décembre, pour les désinsectiser. Avec la chaleur et bientôt les pluies de l'été qui s'installe, favorisant la prolifération des moustiques, les responsables de la santé publique ne se font cependant guère d'illusions. Maladie "émergente", le chikungunya s'est bel et bien installé à la Réunion.

Hervé Schulz
Article paru dans l'édition du 16.12.05
LE MONDE | 15.12.05 | 14h26
SAINT-DENIS DE LA RÉUNION CORRESPONDANT
Retour